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Article paru en mai 1971 dans Connaissance des arts

LES CONQUETES DE ROQUETAILLADE

Où l'on comprend que ce château-fort, l'un des plus impressionnants de France, ait attiré Viollet-le-Duc — Comment celui-ci l'a rendu à une vie seigneuriale qu'il croyait digne du Moyen Age — Pourquoi un siècle plus tard, inchangé, on lui trouve un air irrésistiblement 1900.

par Philippe Jullian

 

Projet pour l'immense salle synodale. La cheminée Renaissance (6m de haut) a été conservée mais seules les boiseries et une vitrine ont été exécutées.
Détail de la monumentale lanterne à pétrole de l'escalier. En bronze doré, 350 kilos. Un des objets les plus complets où s'unissent les réminiscences archéologiques et la tendance florale Art nouveau.

 

La plupart des architectes du 19e siècle eurent les yeux tournés vers le passé, un passé pittoresque ou héroïque, qui devait reposer leurs clients d'un genre de vie par trop bourgeois pour leurs aspirations romantiques. La période qui s'étend de la fin de l'Empire au début de la IIIe République ne fut-elle pas celle des romans historiques, de la peinture d'histoire, des grands historiens? Généreusement on attribuait au passé la couleur, les vertus et le mystère qui commençaient à manquer dans la société industrielle. Le patriotisme s'en mêla et aussi l'orgueil de caste qui rendit dans des reconstitutions ruineuses quelques merveilleux hommages à cette grandeur passée. Les Anglais, bien plus riches et moins coupés de leur histoire que les Français, avaient été les premiers avec le « gothic revival » à élever des châteaux dignes des chevaliers de la Table ronde. Les plus fameux furent Fonthill de Bickford, le Eaton Hall du duc de Westminster qu'on vient de démolir. La grandeur des familles régnantes allemandes s'exprima dans des burgs fabuleux, tel Siegmaringen, qui annonçaient les châteaux de Louis II. Hélas, Sedan priva la France d'un Pierrefonds entièrement meublé et décoré. Mais il reste quand même bon nombre de demeures qui, grâce à un architecte de génie, permettent à la France en matière d'historicisme (c'est ainsi que les historiens d'art appellent ces reconstitutions) de tenir notre rang et même d'assurer le lien entre ce style archéologisant et l'art nouveau.


Cet architecte, c'est Viollet-le-Duc, 1814-1879. Il n'y a pas si longtemps le nom était aussi ridicule que l'avait été celui du Bernin sous l'Empire. Tout en sauvant la cité de Carcassonne, tant de châteaux, tant d'églises, il a préparé la génération qui, après un siècle de pastiche, a enfin élevé des édifices modernes. Son zèle, parfois indiscret, s'appuyait sur une étonnante connaissance de l'art médiéval. Contemporain de Michelet, il a cru souvent faire œuvre d'historien quand il était poète. Il a prêté à des monuments rabotés par les siècles tous les hérissements de mâchicoulis et d'échauguettes que Victor Hugo donnait à ses burgs fabuleux. Ses ouvrages sur l'architecture médiévale, illustrés de dessins minutieux d'après les manuscrits ou les sculptures des cathédrales, valent en érudition un Fustel de Coulanges. Et dans les images qu'il a réunies, dans les théories qu'il a avancées, on trouve les germes de l'art nouveau : une stylisation florale, une alliance du métal et de la pierre, l'asymétrie. Il existe dans le Sud-Ouest un parfait exemple du travail de Viollet-le-Duc sous ses deux aspects, le romantique et le scrupuleux. Entre Langon et Bazas, dans une campagne où les vignes alternent avec les bois, se dresse une forteresse du milieu des ombrages d'un parc, ce qui jure un peu avec le nom héroïque de Roquetaillade. Le puissant donjon carré entouré de quatre corps de logis bordés de tours rappelle encore les vicissitudes de la guerre de Cent Ans. C'est une véritable Bastille plantée dans cette riche campagne où les héros de Mauriac ont accumulé les biens de ce monde. L'impressionnante forteresse fut construite au 14e siècle, grande époque de la domination anglaise en Aquitaine, par le cardinal Gaillard de la Mothe (en son souvenir on y trouve une chambre du cardinal), neveu du pape Clément V (Bertrand de Goth) qui possédait de vastes domaines dans la province, pour remplacer un château plus ancien dont les restes sont devenus les communs du château actuel, château bâti à pic sur une falaise, d'où le nom digne de fournir une rime dans Cyrano de Bergerac.


Le plan rappelle bien plus les forteresses anglaises que les châteaux forts français. De même Saint-André à Bordeaux se présente similaire à bien des cathédrales anglaises. L'Histoire n'a pas gardé le souvenir de sièges ou de batailles autour de la forteresse qu'on voulut rendre plus habitable à la fin du 16e siècle. De ce temps il reste, riches de marbre de couleur, trois énormes cheminées sculptées d'allégories et de blasons, très proches de celles que le duc d'Epernon venait de faire élever non loin de là dans son château. La Révolution détruisit presque entièrement la chapelle située dans le parc, démantela une tour extérieure, fit sauter les créneaux mais ne s'attaqua pas au donjon. Au milieu du siècle dernier, Roquetaillade échut au marquis de Mauvesin, époux d'une Galard-Béarn. Ce couple choisit cette propriété parmi toutes celles qu'ils avaient héritées pour vivre un rêve médiéval, capable de compléter jusqu'au moindre détail le décor de leurs illusions.


Pour comprendre ce renouveau gothique français, il faut d'abord penser à la romance « Partant pour la Syrie, le jeune et beau Dunois », revoir les pendules troubadour, les reliures à la cathédrale, imaginer le bal Walter Scott de la duchesse de Berry. Tout cela sentimental, ne dépassant pas la qualité d'un joli décor d'opéra-comique. La génération élevée dans cette atmosphère avait en horreur les régimes qui empêchaient le retour du comte de Chambord. Heureusement elle eut pour servir sa nostalgie de bien meilleurs architectes que les décorateurs du temps de Charles X. La récente exposition consacrée à Mérimée, inspecteur des Monuments historiques, à l'hôtel Sully, a montré avec quelle conscience l'équipe formée par Louis-Philippe (le jeune Viollet-le-Duc en faisait partie) relevait les plans des monuments menacés, établissait des projets de restauration. Les effets parfois malheureux venaient surtout des mauvais sculpteurs qu'ils employaient (il n'y en avait pas d'autres). C'est donc à Viollet-le-Duc que s'adressèrent les Mauvesin pour rendre à leur château un lustre qu'il n'avait jamais eu. L'architecte le plus occupé de France, très en faveur à la cour impériale car il jouait très bien les charades, ne put commencer les travaux qu'en 1860; il choisit pour le seconder un de ses élèves, architecte à Amiens, Duthoit. Ainsi on échappa à l'abominable Abbadie qui sévissait alors dans le Sud-Ouest, défigurant Périgueux, Angoulême et Sainte-Croix à Bordeaux. Que le collaborateur de Viollet-le-Duc vînt de cette ville nordique chère à Ruskin, où s'était conservée une tradition des métiers médiévaux, devait avoir une grande influence sur le mobilier du château.


Viollet-le-Duc dirigea de loin les travaux jusqu'en 1870. Il commença par rendre aux tours et aux murs leurs créneaux, construisit le petit pont-levis qui fonctionne encore. Il dut aussi percer de hautes fenêtres car le souci historique n'allait pas jusqu'à se priver d'air, mais ce furent des fenêtres à meneaux, garnies de vitraux et de grillages à l'étage inférieur. Les seuls ornements furent des armoiries. Ainsi se conserva l'aspect austère de la forteresse. La petite cour intérieure au pied du donjon donne du jour à celui-ci par de très hautes ouvertures à ogives qui rappellent le palais de Justice de Poitiers. A travers leurs verrières violettes et vertes vient de la lumière de l'escalier. Un escalier monumental qui remplit le donjon garni de bêtes héraldiques, la pierre nue, la rampe aux motifs simplement trilobés lui donnent une grandeur sans concession au pittoresque. La lanterne de bronze doré est un chef-d'oeuvre qui pèse 350 kilos.


Avant de suivre pièce par pièce l'oeuvre de Viollet-le-Duc, il faut s'arrêter devant les grandes et minutieuses aquarelles qu'il soumettait à M. et Mme de Mauvesin avant de se lancer dans les travaux. L'exacte sévérité du dessin d'architecte y est toujours égayée par un détail. Une dame à contre-jour, des fleurs sur une table. Ce qui nous frappe c'est la fraîcheur des couleurs voulues, des bleus et des blancs, des rouges et des roses, des dorures. Hérésie quand on pense à la sobriété des logis médiévaux. Bref des couleurs Second Empire. On n'échappe pas à son temps, même quand on rêve des croisades. En revanche, pas de concession au tapissier, le capiton est banni. Hélas, on n'a pas retrouvé les carpettes à rosaces prévues dans les maquettes. On en faisait pourtant en Angleterre, à Axminster.


Il est curieux de voir comment l'artiste a adapté des dessins du Moyen Age à des meubles « modernes » poufs, chaises-longues. Et le parti qu'il tira des tentures retenues par des embrasses en forme de chimères. Certains meubles en revanche sont très fidèles, comme le vaisselier, le prie-Dieu surmontés de triptyques dont le dessin vient des tableaux de Van Eyck ou du Maître de Flemalle. Le dessin pour la grande salle, soutenue par trois puissants arcs surbaissés, est particulièrement romantique. On pense au décor du Trouvère. Sur chaque poutre était projetée une décoration minutieuse; des bandes blanches et rouges alternaient sur les pierres. Heureusement cette pièce est restée sans décor, ce qui permet d'en admirer les proportions et l'invention architecturale. D'autres maquettes, au contraire, annoncent l'Art nouveau, d'abord en adaptant un décor gothique à des formes contemporaines, comme des cheminées, puis en donnant une telle liberté aux entrelacs et aux floraisons héraldiques que l'on se sent très proche de Gallé et de Lalique. Il ne faut pas oublier que l'édition illustrée (1872) des Entretiens sur l'architecture, première édition de 1863, eut une immense influence autant sur les décorateurs que sur des architectes tels que Horta et Gaudi.
Dans son ouvrage capital sur l'architecture au 19e siècle, Russell Hitchock affirme que l'influence de Viollet-le-Duc fut, en fin de compte, plus grande que celle de Ruskin. Il est certain que l'on trouve devant ces projets pour Roquetaillade une invention décorative qui vaut celle de William Morris. Malheureusement Viollet-le-Duc, à l'inverse de son confrère et admirateur anglais, n'a pas trouvé un public esthète et intellectuel pour le soutenir. Ses clients étaient des châtelains tournés résolument vers le passé et pas le moins du monde intéressés à changer le goût de la société. C'est ainsi que certains éléments, les cheminées et l'escalier de Roquetaillade par exemple, n'eurent pas en France l'influence qu'eurent en Angleterre des œuvres similaires d'architectes du « gothic revival », Pugin et Burges. On leur préféra le pseudo Henri II, celui d'Azay-le-Rideau qui dégénéra vers le fameux buffet du faubourg Saint-Antoine. Roquetaillade apporte une illustration vivante aux deux principaux ouvrages de Viollet-le-Duc : le Dictionnaire raisonné du mobilier et le Dictionnaire de l'architecture. Le premier est orné de chromolithographies dans les tons exacts que l'on retrouve sur les murs. Parmi les centaines de dessins, la plupart d'après des croquis de Viollet-le-Duc lui-même, il est facile de reconnaître les meubles exécutés pour ce château avec la technique des anciens huchiers et serruriers. Une armoire crénelée, par exemple, est une réplique de l'armoire de Noyon. Les planches de ce livre sont une véritable encyclopédie du Moyen Age. Celle qui reconstitue la vie dans un château du 13e siècle est dessinée d'après une des chambres de Roquetaillade, simple, comparée avec la planche représentant la chambre du 15e siècle, hérissée de sculptures flamboyantes. C'est la sobriété et la mesure qui finalement ont eu le dernier mot grâce à la qualité même de l'exécution qui ne permettait pas les extravagances d'un décor théâtral. Le rez-de-chaussée comprend, successivement disposées autour du donjon, une vaste cuisine, toute étincelante de cuivres, au milieu de laquelle se dresse un massif fourneau de fonte dessiné par l'architecte lui-même. Vient la chambre verte. Deux lits noirs et or sous des baldaquins tenus par des crosses épiscopales. Le mobilier est brodé d'initiales et de couronnes. Les accoudoirs des fauteuils présentent des têtes de chiens; une petite crédence crénelée fait penser à une armoire de sacristie. On pourrait jouer l'Axel de Villiers de l'Isle-Adam, mais en crinoline. Puis une salle à manger divisée en deux parties par un double arceau. Cette pièce est tendue de toiles peintes, d'armoiries et de feuillages : on y voit, çà et là, les cygnes des Galard comme sur le médaillon d'émail que porte la duchesse de Broglie née Galard-Béarn dans son portrait par Ingres. Le dressoir est dominé par ce que les héraldistes appellent un homme sauvage en bois sculpté portant l'écu des Mauvesin. Des étains rappellent les tons gris-bleu des tentures; c'est un menuisier d'Amiens qui a fouillé les rinceaux proches de ceux des fameuses stalles de la cathédrale.


La chambre suivante, hier rose vif, offre aujourd'hui une couleur de pétales séchés. Là encore deux lits assez loin l'un de l'autre, séparés par une arche. Sur les murs, des semis héraldiques au pochoir au lieu des bandes trifoliées qui ornaient la pièce précédente. La cheminée est une des réussites de Viollet-le-Duc. Sur la hotte il a encadré de deux anges musiciens à ailes tricolores (il était républicain) une authentique Vierge du 14e siècle dûment repeinte et dorée. Le mobilier est là peint en blanc avec des filets d'or mais, sous la peinture, est un solide bois de chêne et non pas un quelconque bois blanc. Toutes les tentures sont en drap de laine le plus épais. Les cabinets de toilette ont de vastes placards en pitchpin, mais avec des pentures de fer forgé pour rappeler ce qu'on appelait au Moyen Age la garde-robe d'appartement. Tout fait avec les meilleurs matériaux à Amiens et expédiés en Gironde.


Les peintres venaient de Paris, seul le gros oeuvre était exécuté par la main-d'oeuvre locale. Les dépenses furent énormes; ainsi l'arrangement du rez-de-chaussée en resta là et la bibliothèque ne fut pas exécutée; il n'y eut que trois pièces entièrement refaites au premier étage, mais de taille. La chambre du cardinal, avec son mobilier à torsades, ses tentures de velours frappé vert foncé, fait aussitôt penser à ce tableau de Paul Delaroche, alors fameux, l'Assassinat du duc de Guise pièce au château de Blois. On voit là moins l'influence de Viollet-le-Duc qu'un exemple de ce style bien pensant qui a sévi dans les châteaux de la Loire et dont le meilleur exemple est la chambre offerte par les dames du Poitou au futur Henri V et que l'on et peut encore voir à Chambord. Le salon, lui aussi, n'a de Viollet-le-Duc que les poutres sculptées. C'est, en somme, un grand salon de château Vue avec son mobilier de tapisserie et, aux murs, une très belle série de Beauvais, l'Histoire de Daniel. Mais dans la grande, l'immense salle, on pourrait représenter les Maîtres Chanteurs. Elle mesure deux cents mètres carrés. Décor rouge vif et bleu ciel, boiseries « à serviettes » jusqu'à hauteur d'homme. A une extrémité, une magnifique cheminée Renaissance; à l'autre, un extraordinaire et énorme meuble mi-vitrine, mi-dressoir, rempli de faïences et de plats de cuivre. Ce chef-d'oeuvre de menuiserie est digne d'une cathédrale. Là encore, l'architecte, qui a pris la hauteur de cette salle sur deux étages, a construit en son milieu un arc puissant dont la simplicité fait valoir la surcharge allégorique de la cheminée et il est heureux qu'on n'ait pas eu les moyens de décorer entièrement la charpente et les pierres de ses arcades, cela en aurait gâché la force. Les fenêtres, au contraire, avec leurs volets trilobés, leurs petits bancs, les motifs dont sont minutieusement décorés les épais murs de la forteresse, sont, par ce souci d'exactitude même, adaptées à une forme « moderne », paraissant bien plus anachronique.


Après quinze ans de travaux, M. et Mme de Mauvesin s'aperçurent qu'ils ne pouvaient aller plus loin. Ils renoncèrent à finir tout le château et consacrèrent leurs dernières énergies à la chapelle qui se trouve dans le parc, à l'ombre d'un cèdre gigantesque. De l'ancien édifice, il ne restait que trois murs. Cette chapelle très complète, avec des ornements magnifiques, a quelque chose d'oriental par son décor rouge, bleu et or, par ce plafond qui rappelle celui des chapelles mozarabes, avec ses petites coupoles de zinc peintes et argentées, ses poutres bariolées. Tout cela est dû à Duthoit qui prit le chantier en mains après la retraite de Viollet-le-Duc. Celui-ci avait été très éprouvé par la défaite de 70, après s'être beaucoup dépensé comme ingénieur militaire tout au cours de la campagne. Ce qui est de Viollet-le-Duc lui-même, autel et fonts baptismaux, rappelle au visiteur superficiel cet art dit de Saint-Sulpice, justement maudit par Huysmans (aujourd'hui, avec un zèle parfois excessif, le clergé débarrasse les églises). Heureusement cette chapelle reste privée. Aucun iconoclaste n'est venu au nom de la simplicité évangélique, pour envoyer son mobilier au marché aux Puces sans se rendre compte de son exceptionnelle qualité. Les émaux, la ciselure, la dorure, les marbres, les mosaïques font toute la différence avec ces tristes imitations qui envahissaient les églises avant que ne soufflât le vent de la réforme. Mieux vaut peut-être un mauvais goût que pas de goût du tout. Ainsi l'intégrité de la chapelle de Roquetaillade, ses vases sacrés dans lesquels se devinent déjà les entrelacs de l'art nouveau, pieusement conservés, révèlent une rareté de plus. On y évoque ces familles provinciales mais importantes, si bien-pensantes, qui ont donné tant de prélats et de généraux sans compter les zouaves pontificaux. C'est l'atmosphère dans laquelle ont été écrits le Récit d'une soeur par Mme Augustus Craven, née La Ferronnays, et la Petite Duchesse de Zénaide Fleuriot.


Tout cela faisait sourire il y a peu d'années. C'est aujourd'hui un précieux témoignage sur une société à la fois grave et chimérique, dont la foi valait mieux que le goût. D'où tant de châteaux lugubres dès qu'elle ne s'adressait pas pour servir ses rêves anachroniques à un Viollet-le-Duc, rendu responsable de bien des horreurs. Comme exemple du travail de ce savant, qui fut aussi un grand artiste, il ne reste rien qui soit aussi fini que les intérieurs de Roquetaillade. Pierrefonds, hélas, n'a pas été meublé. Le château de M. d'Abbadie d'Arast (qui appartient à l'Institut) près d'Hendaye est un peu trop pittoresque ayant été reconstruit pour un explorateur. On trouve à Roquetaillade les meilleurs exemples de l'oeuvre de celui qui fut bien plus qu'un restaurateur; les fenêtres et les détails de l'escalier sont proches de ces immeubles qu'il a élevés à Paris — le 15 rue de Douai et surtout le 184 du boulevard Haussmann — immeubles remarquablement simples au moment de l'efflorescence du Second Empire. La grande salle rappelle cette église que les Anglais auraient redécouverte depuis trente ans si elle avait été située à Greenwich au lieu d'être avenue Jules-Guesde à Saint-Denis : Saint-Denis de l'Estrée construit de 1864 à 1867 alors même que Viollet-le-Duc travaillait le plus à Roquetaillade.


Ce château-forteresse est entretenu avec amour par la famille de Baritault du Carpia; il se visite tous les jours en été et le dimanche seulement l'automne et le printemps. Chaque année, en juillet, les Tréteaux de France y donnent des représentations. Ce serait le décor parfait quand la télévision voudra tourner la Dame de Montsoreau ou l'Aigle à deux têtes.

Vue en détail de la salle à manger : des arcs soutiennent le plafond. Impression mystérieuse et poétique avec des motifs décoratifs qui annoncent le style 1900. L'autel de la chapelle a plutôt l'air, avec ses émaux translucides et ses dorures, d'un très grand reliquaire. Tous les vases sacrés et les candélabres ont été dessinés par Viollet-le-Duc. Même les chandelles sont décorées en polychromie.