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Article paru en octobre 1987 dans Jours de France

On peut encore en France habiter un château du Moyen Age
ROQUETAILLADE

Par JEAN DES CARS

Une salle de bain Le mobilier est en poirier noirci souligné par des filets or et rouge.

S’il est un château fort où le Moyen Age est encore vivant, c'est bien l'étonnant Roquetaillade, près de Langon, au coeur de l'Aquitaine. En fait, il s'agit de deux châteaux réunis dans la même enceinte féodale, l'un appelé le Château-Vieux datant du XIIe siècle, l'autre le Château-Neuf qui date du début du XIVe.

Cet ensemble d'architecture féodale est unique en France. Site légendaire fortement imbriqué dans l'histoire de l'Aquitaine, Roquetaillade présente, pour le visiteur, un intérêt à la fois familial et tant architectural que décoratif. En effet, il est rare qu'un tel monument échappe aux vicissitudes des successions. Roquetaillade, qui n'a jamais cessé d'être habité, appartient depuis sept siècles à la même famille. Et, au cours de cette période, le nom des propriétaires n'a changé que quatre fois.

On a pu craindre le pire en 1965 lorsqu'un projet de vente fut connu. Heureusement, il n'y eut pas d'acquéreur. Et, aujourd'hui, la famille du vicomte de Baritault du Carpia poursuit une œuvre patiente d'ouverture sur les diverses traditions du lieu, y compris celle de la vie rurale, avec un musée particulier «la Métairie» qui reconstitue toutes les habitudes quotidiennes de la région aux environs de 1850.

Précisément, c'est le XIXe siècle qui reste le «grand siècle» de Roquetaillade auquel est définitivement attaché le nom de Viollet-le-Duc. Ici, l'audacieux architecte, qui fut le grand apôtre du médiévalisme, a trouvé un cadre à sa mesure, comme il le fit pour Pierrefonds, Carcassonne ou encore Notre-Dame de Paris.

Le renouveau des siècles passés était à l'honneur lorsque M. et Mme de Mauvesin héritèrent du château, en fort mauvais état, en 1866. Viollet-le-Duc promit aux propriétaires de redonner à la forteresse son aspect initial, et recréa, selon le mot de Philippe Jullian «un rêve médiéval capable de compléter jusqu'au moindre détail le décor de leurs illusions ». Quelle entreprise ! Et quelle réussite : à Roquetaillade, nous visitons les fastes du gothique français et il faut souligner qu'une telle restauration, y compris du mobilier, est exceptionnelle. La richesse des meubles est insoupçonnable derrière ces hauts murs, fiers et austères.

Viollet-le-Duc travailla avec un de ses proches collaborateurs, un autre architecte, Edmond Duthoit, bien nommé. On lui doit, notamment, dans le parc aux frondaisons centenaires, la décoration de la chapelle Saint-Michel (XIIe siècle) dont le style «oriental» est surprenant à une demi-heure de Bordeaux. Les difficultés de l'époque (le désastre de la chute du second Empire en 1870 puis la terrible crise viticole) ne permirent pas de tout remettre en état dans la vaste salle synodale du premier étage. Il n'est plus raisonnable de discuter les rénovations de Viollet-le-Duc : grâce à lui, le Moyen Age nous est plus familier et Roquetaillade en est un précieux témoin.

Mais, grâce à ses propriétaires devenus aussi animateurs, le château est également une entreprise touristique. La vicomtesse, Rosalind, qui retrouve un passé fortement lié à la Couronne d'Angleterre, et son époux Jean-Pierre, qui en ont la responsabilité depuis janvier 1984, ont fait des efforts aussi bien dans les visites (estimation 1987 : 90 000 personnes), dans les repas servis aux clubs du troisième âge (10 000) que dans les réceptions de prestige qu'ils président eux-mêmes.

De vastes projets ont été élaborés, depuis la reconstitution du vignoble jusqu'à un vidéo-clip historique en passant par l'installation d'un golf de niveau international, sans oublier les récents concerts, et permettent à Roquetaillade de s'avancer avec une raisonnable sérénité vers l'an 2000. C'est une vocation de chaque instant que définit la famille de Baritault du Carpia: «Pour survivre, Roquetaillade, avec ses voisins, châteaux ou cités de l'histoire, doit créer un pôle de développement touristique au service de ses visiteurs de tous pays. Il faut relancer une dynamique de tourisme autour d'une infrastructure moderne et adaptée mais dans le cadre de la route historique des châteaux et cités de Garonne.»

Dans la chambre rose, un beau pianoforte par l'autrichien Pabst (1824). Pour s'assoir à califourchon : des chaises dessinées par Viollet-le-Duc