Article paru en avril 2003 dans Le Figaro
Roquetaillade et la vigne
Par Yves PACCALET
En Gironde, au pays du vin : la forteresse de Roquetaillade unit la rigueur au plaisir. Sauternes est à deux pas... On peut se vouloir à la fois château du Moyen Age et posséder la subtilité d'un grand cru. Puissant arôme, longueur en bouche.
Impossible de le manquer : il triomphe dans la campagne girondine, tant il est
massif et même superlatif... Un colosse ! Deux tours rondes d'un côté,
quatre de l'autre ; un donjon rectangulaire surmonté d'une tourelle ;
des créneaux partout ; une ahurissante épaisseur de murailles
; un personnage minéral...
Au coeur de l'Aquitaine, dans des volées de parfums de vigne, Roquetaillade en impose. On y trouve deux châteaux forts dans une seule enceinte, l'un du XIIe siècle, l'autre du début du XIVe. Permanence de la pierre, mais aussi de ses occupants, puisque la même famille - de Baritault du Carpia - habite ici depuis 1306. Deux restaurations importantes ont donné à l'édifice son apparence actuelle : la première, à la Renaissance, a laissé des cheminées monumentales ; la seconde, que Viollet-le-Duc a menée, a changé l'édifice en palais forteresse.
On commence la visite par le vaste parc (24 hectares), tracé par Viollet-le-Duc. On caresse le tronc des arbres centenaires. Aux portes du château, un musée rural, baptisé « la Métairie », inclut un pigeonnier du XIIe siècle et retrace les scènes de la vie paysanne vers 1850 : labours, semailles, moissons, vendanges...
A la vérité, le site de Roquetaillade est déjà occupé par les hommes préhistoriques : en témoignent des silex taillés. Charlemagne y aurait bâti des fortifications contre les Sarrasins. La légende murmure, depuis le Moyen Age, que ce castel recèle des sources miraculeuses ; un trésor caché ; des souterrains qui mèneraient à Bordeaux, voire à Jérusalem !
Au XIIe siècle, à l'époque où est édifié le « château vieux », Eléonore d'Aquitaine donne à son époux, le roi d'Angleterre, Henry II Plantagenêt, toute la province qu'elle a reçue en héritage. Au XIVe siècle, le cardinal de la Mothe, neveu du pape Clément V, ordonne (avec la permission du roi Edouard 1er) la construction du « château neuf » et de son prodigieux donjon. Roquetaillade est alors le centre d'un village dont les habitants peuvent se replier derrière des murs solides en cas d'attaque, situation fréquente durant la guerre de Cent Ans !
Dans le goût de Victor Hugo...
Outre le donjon et les cheminées Renaissance, monumentales,
édifiées vers 1635, les restaurations intérieures de Viollet-le-Duc
sont remarquables. Ce dernier, subjugué par Roquetaillade, entreprend,
avec génie, de lui restituer son visage gothique. Les escaliers, sculptures,
peintures et mobiliers en tous genres qui résultent de cette entreprise
sont exécutés dans le goût de Notre-Dame de Paris et de
Victor Hugo.